La chute dans le vide.
Aucun jeu n'a autant bien porté son nom que Voidfall, tant l'accès à son monde est parsemé d'embûches mentales.
Prévoyez bien 45 grosses minutes pour mettre en place une partie en choisissant l'un des nombreux scénarios et configurations (solo, coopératif, compétitif) du guide dédié, puis 45 minutes pour expliquer les bases du gameplay aux primo-explorateurs du titre. Cela sans compter l'appropriation des subtilités du jeu en amont (vidéos fortement conseillées), même si Voidfall vient avec une documentation dense claire et un scénario d'introduction bien pensé. Et surtout l'apprentissage quasi scolaire de la double centaine d'icônes nécessaires au bon déroulement de votre longue soirée, une symbolique dense heureusement rappelée dans un double feuillet indispensable durant vos premières sorties dans l'espace, croyez-moi !
Voidfall est juste la définition du jeu épique. Il y a bien sûr sa "première sortie de boîte", demandant une heure à "dépuncher" son matériel conséquent, trier les nombreux tas de cartes et construire les plateaux de ressources, à la préparation complexe de chacune de vos parties évoquée plus haut. Une petite mise en bouche face au défi que vous propose le titre, à savoir conquérir l'univers, à base d'un 3,5X (l'exploration est quasi nulle) proche des monstres spatiaux du genre (Eclipse, Twilight Imperium), mais avec la volonté affirmée de troquer un maximum d'aléatoire par un déterminisme davantage apanage des Eurogames traditionnels.
Une partie de Voidfall se déroule en 3 manches strictes comprenant quatre phases chacune. C'est la phase Focus (II) qui va occuper la majeure partie de votre quotient cérébral, en vous permettant de jouer une carte de votre main à tour de rôle, et ce dans une limite annoncée par la carte Evènement Galactique révélée lors de la phase Préparation (I). Chaque carte comporte trois blocs d'actions, incluant souvent des coûts d'exécution, et vous aurez la possibilité d'en activer deux gratuitement et la troisième en vous délestant d'un jeton Commerce durement acquis. Coloniser, Préparer des unités pour un déploiement futur, Générer des ressources, Déclencher votre capacité de faction, Attaquer, ... sont quelque unes des nombreuses actions permises par des blocs d'actions qui ont la qualité d'immerger leurs propriétaires via des mots clés inspirés.
Toute la partie développement de votre faction, choisie au départ parmi une sélection liée au scénario joué, passe en premier lieu par votre expansion sur la carte modulaire générale, sur lesquelles vous allez pouvoir construire des installations (pour rajouter de la défense et des points d'apparition) et créer des guildes (améliorant la production).
Vous pouvez aussi évoluer grâce à l'achat régulier de cartes Technologie (capacités immédiates et permanentes) et via la zone Civilisation de votre plateau personnel, trois pistes (société, gouvernement et économie) permettant d'engranger des bonus variés tout en débloquant l'accès à des technologies avancées. Mais beaucoup de vos points finaux dans Voidfall sont à chercher via les cartes Programme, qui viennent se loger sous votre plateau et se déclenchent à chaque fin de manche si vous avez réussi à respecter les objectifs affichés dessus.
Le hic, c'est que vous ne serez pas seul dans l'univers pour gérer vos petites affaires. Voidfall impose une faction neutre appelée les forces du néant, qui "squattent" un certain nombre de tuiles dès la mise en place, et ont aussi la fâcheuse tendance à réaliser une attaque ciblée sur votre lieu accessible le plus faible durant la phase d'Evaluation (III). Mais le pire est à chercher du côté de la corruption, matérialisée par un élément plastique en forme de flamme, et qui selon où elle est placée empêche une population de secteur d'évoluer, d'obtenir le bénéfice d'une case de Civilisation, voir de récupérer les bonus associés à une carte Programme !
Que ce soit contre les forces du néant ou vos adversaires, le combat sera souvent inévitable. C'est là où le déterminisme rentre principalement en jeu, puisque vous pouvez toujours déterminer l'issu du combat avant de lancer ou subir un assaut. Aucun hasard ou surprise attendus ici, c'est la somme de vos forces, plus les éventuels améliorations de vos technologies, qui règlent naturellement le ping-pong des pertes jusqu'à designer le vainqueur. Pour une issue soit positive, la possibilité de marquer tous vos jetons influence (dont le dernier récupérée sur la tuile), soit bien moins gratifiante, à savoir la fuite.
Et après plusieurs parties, je n'ai qu'un mot : Waouhhh !!!
Voidfall propose l'un des moteurs économiques les plus riches et plaisants auxquels j'ai pu me frotter ces dernières années. Technologies, pistes civilisationnelles, cartes Focus, ... l'espace de décision se montre de base aussi varié qu'incroyablement engageant. Et le plaisir de jouer prend encore une toute autre dimension avec le choix des cartes Programmation en cours de partie, qui finissent de donner une direction à votre civilisation et parfaire l'asymétrie offerte par les nombreuses races de départ.
Indiscutablement, Voidfall est un jeu "bac à sable" à la richesse tactique dantesque. Si le gameplay se base beaucoup sur une haute maîtrise de la gestion de ses ressources et d'un séquençage pointu de ses actions, la variabilité des configurations pouvant autant vous offrir un monde pacifiste que sujet à une agressivité et interaction exacerbées, ainsi que les choix de vos adversaires, feront qu'une partie ne ressemblera jamais à une autre.
Reste qu'il faut toujours garder en tête que Voidfall est avant tout un Eurogame. Les combats ne vous feront pas autant vibrer que dans un 4X "tradi", le calcul et la prévoyance seront toujours gagnants devant la prise de risque et les tentatives d'héroïsme, et vous passerez souvent le plus clair de votre temps le nez dans votre "monde" sans trop vous soucier des autres. Mais en échange, le jeu vous proposera une aventure ludique avec un grand A, où la carapace de gros jeu développement aux choix cornéliens et aux actions qui se comptent sur une main n'a jamais autant été sublimée par une thématisation mécanique aussi bien menée, même si l'aspect graphique pourra rendre un paquet de vos joueurs perplexes.
Par contre, faut vraiment que j'extériorise un truc : Je déteste l'ergonomie matérielle du jeu !
Un plateau Galactique vraie bizarrerie de conception, des tuiles Secteur aussi moches qu'illisibles dès qu'il y a quelques unités dessus, le BAC+12 en sémiologie nécessaire pour comprendre les tuiles combat... faut vraiment être alerte et précautionneux pour jouer à Voidfall, surtout avec l'absence de double couche des tuiles et plateaux personnels de la version boutique sujette à de nombreux accidents fâcheux ! Faut aussi qu'on parle de cette boîte de miniatures aux supports aussi horribles à assembler (surtout dans le feu de l'action) que la laideur des vaisseaux, rapidement vendue dès la première partie terminée ...
Vous l'avez donc compris, Voidfall n'est pas pour tout le monde, et il faut une incroyable volonté pour se décider à le présenter et le déployer sur une table. Et c'est rageant, car je sais qu'une fois assis devant mon plateau de jeu, avec pourtant une zone d'exploration définie et sans inconnues devant moi, c'est une expérience de "gros joueur" comme on en fait rarement ces derniers temps, et que je n'échangerai avec personne !