
C'est vrai que les parties peuvent traîner en longueur, mais Whistle Stop a été chez nous une des dernières belles surprises du genre pick and delivery et du jeu intermédiaire en général. J'avais donc hâte de savoir si Whistle Mountain, sa suite vraiment plus visuelle et narrative que mécanique, avait la capacité de nous transporter autant que son prédécesseur. Et après quelques parties, je peux l'affirmer avec aplomb (mais pas de trop haut, car j'ai le vertige) : Je vais commencer à suivre Scott Caputo à la trace !

Commençons par le pitch : L'histoire de Whistle Mountain prend place quelques années après avoir conquis l'Ouest Américain avec nos trains flambants neufs. Le réseau continental est désormais 100% fonctionnel et tous les entrepreneurs du pays ont maintenant les yeux rivés sur les Rocheuses du Colorado, avec la ferme intention d'extraire un maximum de fer, charbon et or de ses prolifiques gisements, tout en profitant de l'eau présente en abondance.
Reste qu'avec un terrain aussi accidenté, il n'y a pas d'autres choix que de se déplacer en aéronefs et de construire des échafaudages pour permettre à ses ouvriers d'installer les machines. Des conditions de travail plutôt précaires qu'un grand et sournois danger guette : La fonte des neiges éternelles, accélérée par notre activité égoïste, qui va irrémédiablement provoquer la montée du cours d'eau voisin. Jusqu'à engloutir peu à peu les installations et les travailleurs qui n'auront pas atteint la berge à temps !

Et ce scénario, les joueurs vont l'écrire ensemble, en construisant collectivement le grand édifice de métal qui va causer sa perte.
Pour cela, tous les participants disposent au départ de trois dirigeables de 3 tailles différentes, d'un plateau de gestion de ses améliorations (futures) et ressources, et d'une puissante capacité unique choisie lors d'un tour de draft préliminaire.
À son tour, le premier choix qui s'offre à un joueur est de Collecter. Cela consiste à envoyer l'un de ses dirigeables soit sur l'un des emplacements d'actions bordant le plateau, soit à côté d'un échafaudage ou sur une machine installée de la zone de construction commune. Si la première action permet de récupérer entre autres des machines, des tuiles d'échafaudages, des améliorations ou des cartes bonus, la seconde offre le bénéfice de toutes les ressources adjacentes et l'activation de toutes les machines adjacentes ou surplombant son lieu d'arrêt.

L'autre possibilité est de Forger, permettant de faire revenir tous ses dirigeables sur son plateau individuelle et de réaliser jusqu'à 3 constructions et 1 action humaine (sauvetage ou déplacement d'un ouvrier). Il faut savoir que la construction est régit par des règles très stricte : Chaque pièce d'échafaudage doit toujours être en contact avec une autre déjà placée, et une machine doit couvrir dans son entièreté du métal de la structure générale.
Dans les deux cas, un joueur a toujours la possibilité de déclencher autant d'améliorations qu'il possède (selon la récurrence indiquée dessus) et d'utiliser un bonus de chaque type (carte et médaille récupérées au préalable) à n'importe quel moment de son tour.

La montée des eaux se gère, elle, par un étonnant système de tuiles "ligne d'eau", que l'on vient clipser sur deux supports placés de par et d'autre de la zone de construction. Dès qu'un joueur place une machine dont au moins une "case" dépasse la hauteur du pont imprimé, une tuile est prise de la réserve inférieure et placée un cran au dessus de la plus haute actuellement. Les conséquences ? Forcément négatives, puisque que chaque machine partiellement ou totalement inondée devient inutilisable, alors que les ouvriers recouverts tombent eux dans le "tourbillon".
Et c'est la première grande qualité de Whistle Mountain : L'originalité de son système de construction. Cette mécanique de développement sur deux niveaux (échafaudages / machines) est une vraie belle idée qui a le bon ton de changer la façon d'aborder la pose de tuiles, puisqu'elle développe ici progressivement un champ d'opportunités qui vont peut à peut disparaître à cause de la montée des eaux, demandant à s'adapter continuellement aux conditions de jeu.
De plus, le fait de devoir construire sur le même plateau demande un sens de la temporisation et de réaction aux "évènements" qui peut s'avérer certes frustrant, mais qui offre en contrepartie une interaction affirmée gratifiante quand l'anticipation et un enchaînement d'actions riche en points de victoire conclut l'un de ses tours.

Whistle Mountain fait d'ailleurs dans la débauche de points assumée. Vous allez déjà en gagner en bâtissant des échafaudages (un point par contact avec case métal existante) et construisant des machines (valeur augmentant avec avec la taille de l'engin). Il y aura aussi pas mal de points à tirer de la montée en grade de vos ouvriers, qui viendront se loger sur la tour droite quand une machine sera construite sur leur emplacements. N'oubliez pas non plus les améliorations et les ressources encore en stock, auxquels il faudra retrancher 5 points par travailleur encore dans l'eau.
Et si d'ordinaire je ne suis pas friand des salades des points, Whistle Mountain conserve une lisibilité à tout épreuve. Il suffit d'un coup d'oeil sur la tour générale, les plateaux personnels et la tonne de jetons points (pas l'idée la plus ergonomique de l'année, mais se comprends au vu du plateau) de chacun, et vous savez où vous en êtes, vous permettant ensuite de vous réadapter aux forces en présence sans être complètement surpris à la fin.

Reste à parler de ce thème, qui fait autant dans l'inédit qu'il semble déphasé avec son prédécesseur. Pourquoi maintenant du steampunk quand on avait une vraie assise historique auparavant ? Pourquoi garder le prefixe "Whistle" quand les sifflets n'ont vraiment plus de sens ici ? Vous n'aurez pas de réponses, et la légitimité de l'ensemble est permise.
Et pourtant, chez nous, cela a toujours fini par fonctionner. Le charme du jeu opère rapidement, mes joueurs se font inlassablement happer par ses couleurs chatoyantes et ses mécaniques ingénieuses, pour presque finir par verser une petite larme quand le dernier tour arrive et qu'il n'est plus possible de sauver son dernier ouvrier de la noyade.
Reste que pour être honnête avec moi-même, je pense quand même être davantage tombé amoureux de la ré-interpétration super intelligente de la pose de tuiles et de son thème décalé plutôt que du produit final, qui manque quand même d'un peu de finition.
Il y a déjà un vrai déséquilibre dans les améliorations de départ et les "avantages" en général. Ensuite, le jeu ne récompense pas au même niveau tous les axes de scoring, et l'ergonomie de construction un peu bancale peut vite vous anéantir une partie si vous avez des maladroits ou grosses paluches autour de la table.

Mais le plus dommage, c'est ce vrai manque de crédit donné à la construction des machines, qui font pourtant la dynamique d'une partie (c'est par elles que l'eau monte et que la partie se termine). Il y a clairement une vraie contradiction entre leur ratio prix / récompense défavorable (surtout pour les grands modèles), et le fait qu'elles profitent à tout le monde (et souvent aux autres avant vous), ne donnant vraiment envie d'investir dans les meilleures. Un peu déroutant, surtout qu'un système d'actions à double niveau (possesseur / squatteur) ou de rente à chaque utilisation aurait pu régler tous les "soucis" d'un coup ...
Fort heureusement, tous ces griefs ne sont pas suffisants pour nuire aujourd'hui à mon envie de me lancer une partie, et surtout à le faire découvrir à des joueurs d'Eurogame curieux. Whistle Mountain a des défauts, c'est indéniable, mais propose aussi un gameplay frais et plein d'idées qui réussit à renouveler l'image que l'on se fait des jeux experts.
Et c'est pour cela que je vous conseille de garder un œil rivé sur le fil d'actu de l'auteur principal. Car après deux premières sorties aussi clivantes que quasi "révolutionnaire" dans leur genre respectif, je suis certain que le troisième essai sera celui qui mettra tout le monde d'accord. On tient les paris ?


