Space Invaders.
Si vous avez plus de 35 ans, vous n'avez certainement jamais joué à ce pionnier du jeu vidéo, aussi minimaliste que difficile, qui ne cesse pourtant d'inspirer encore la production vidéoludique et la pop-culture aujourd'hui.
Preuve encore avec ce détonnant Bossin' Space, un jeu pour 1 à 5 joueurs développé par Petr Vojtěch et Jindřich Pavlásek, qui vous promet une belle dose de sensations aux confins de la galaxie... et des explosions à foison !
Dans l'espace, on ne peut vraiment pas être tranquille
Bossin' Space reprend toute la substantifique moelle (content de l'avoir casée celle-là) du titre mythique de Taito : Vous devez contrôler un vaisseau perdu au fin fond d'une galaxie inconnue et tenter de le faire survivre à des vagues d'aliens incessantes, et surtout à un méchant boss final qui ne veut vous pas que du bien.
L'ensemble du jeu repose sur des cartes (des vaisseaux aux différents paquets d'actions allié et ennemi), une mécanique de jeu "tour par tour", et s'avère surtout entièrement coopératif. Tous les joueurs contrôlent en fait le même rafiot, et doivent régulièrement se concerter et prendre des décisions communes pour tenter de lui offrir un avenir radieux.
Premier hic, comme dans l'original, vos possibilités d'actions sont très limitées : Votre radeau intergalactique est cloué sur la dernière ligne d'une zone de jeu de 4 par 4 cases, et ne que tirer vers le haut et se déplacer horizontalement.
Les méchants apparaissent toujours sur la plus haute ligne de cette grille, et verront au début de chaque tour leurs actions dictées par 4 cartes tirées du deck danger et placées côte à côte en dessous du plateau de jeu.
Que ce soit activer le tir principal des ennemis placés sur une ou plusieurs colonnes spécifiques, déplacer un alien latéralement, déclencher tous les pouvoirs spéciaux des pas-beaux ou faire apparaître une nouvelle rangée d'intrus (qui a pour conséquence de faire glisser vers le bas ceux déjà présents), tout est fait pour empiéter vos points de vie. Vous n'en avez que trois au départ, et vous constaterez rapidement qu'il est difficile de les conserver, chaque tir ou chaque ennemi atteignant votre "rangée" vous faisant perdre un (ou plusieurs) points de santé.
Mais dans votre malheur, vous partirez dans la bataille avec trois avantages non négligeables.
Le premier, c'est posséder un vaisseau qui s'appelle le Star Nib. Cela n'a l'air de rien comme cela, mais avoir un nom que n'aurait pas renié le meilleur strip-club paumé du fin-fond du Texas, c'est la classe. Et c'est toujours un peu plus d'emprise psychologique sur ses adversaires à l'heure de jouer sa vie.
Le second, c'est que vous commencez la partie avec un plateau personnel qui va vous permettre d'upgrader votre vaisseau tout au long de la partie. Celui-ci possède une jauge d'expérience, qui va grimper à chaque alien occit. Dès que le cube de niveau atteint un cube d'expérience, vous pouvez utiliser ce dernier pour augmenter la puissance de votre laser ou le nombre de missiles tiré avec les cartes correspondantes, gagner des cartes actions plus puissantes, voir même gagner un jeton vie supplémentaire. Seul souci, votre cube niveau repart alors à chaque fois de zéro. Embêtant au début, mais plus le jeu progresse, plus les ennemis sont forts et offrent de l'expérience. Un mal pour un bien.
Le troisième, et le plus important, c'est que vous allez toujours pouvoir jouer une carte avant chaque action ennemi. Cette phase repose sur un système de programmation : Les joueurs doivent piocher un certain nombre de cartes, en placer une ou deux (selon le nombre de joueurs présents) faces cachées dans le pool commun, puis finir par décider collectivement où les affecter.
Mais malheureusement, il y a encore une contrainte qui vient densifier l'expérience. Car je ne l'ai pas encore dit, le jeu intègre une dose de communication limitée, et ici pour la phase de sélection individuelle de sa carte. On peut discuter de la marche globale à faire, mais sans jamais dévoiler explicitement quelle action chacun effectue. Et c'est tout d'un coup moins simple !
Dans l'espace, on peut vite se faire mal
L'erreur à faire avec Bossin' Space serait de le prendre au sérieux. Vraiment.
Il y a malheureusement trop d'incertitudes liées à la communication limitée, trop de hasard lié aux cartes qui peut faire basculer une partie en un tour sur un mauvais tirage, pour espérer avoir la sensation de jouer à un jeu calculatoire où l'on contrôle son destin. Beaucoup de Bossin' Space relève en fait de la réaction à l'urgence d'une situation donnée : Si les ennemis ont prévu de vous agresser deux fois et que vous avez des mouvements et des tirs, vous avez une chance de survivre. Par contre, si vous tombez sur une triple offensive avec déclenchement d'effets spéciaux, et que vous n'avez que des mouvements en main, vous n'aurez aucune chance de vous en sortir.
La communication limitée apporte une grosse dose de fun, c'est sûr. Mais s'avère incontrôlable avec des grandes tablées. Le jeu a plus de trois joueurs pourrait d'ailleurs faire rentrer Bossin' Space dans la catégorie des jeux d'ambiance, tellement le chaos règne, tellement un joueur dissident (synonyme de peu volontaire... ou bourré) peut complètement faire s'écrouler une entente et des probabilités heureuses.
Si vous acceptez ce postulat, Bossin' Space pourrait vous plaire. Car déjà, il se montre visuellement sacrément accueillant, avec ses illustrations tron-esques vraiment chouettes qui rendent un réel hommage à une œuvre qui a marqué le monde du jeu vidéo, à sa sortie en 1979. Si le matériel est un peu aléatoire (ma boîte contenait des pièces plastiques défectueuses), il n'y a pas tant que cela de jeux de programmation funs qui se sortent rapidement et promettent de passer un joli moment de partage.
La configuration à 2 joueurs me paraît d'ailleurs la plus optimale, et peut réussir à créer (comme dans un Roméo & Juliette) une connexion mystique jouissive entre les deux pilotes, pour peu que l'aléatoire vous laisse tranquille dans la légende que vous êtes en train d'écrire.
Pour ma part, j'avoue aussi apprécié Bossin' Space pour son jeu en solitaire. Moi qui ne suit pourtant pas du tout consommateur de ce genre de mode, j'ai trouvé avec le bébé de chez Albi un petit compagnon agréable et pas prise de tête (dans la réflexion long terme), qui réussit à me divertir et à évader mon esprit malgré son minimalisme apparent.
Reste que Bossin' Space me fait un peu craindre côté rejouabilité. Si les règles permettent de modifier la difficulté et si le jeu intègre cinq boss différents dans la boîte, ce n'est finalement que quelques variations de cartes qui risquent de ne pas être suffisant pour garder la "hype" et le plaisir de la découverte intact après une petite dizaine de parties.
Vraiment dommage que les auteurs n'aient pas pensé à un système évolutif, avec par exemple des enveloppes à ouvrir dès qu'un boss est vaincu. Un système de "niveaux", avec l'ajout de petits changements de règles, des monstres inédits voir des astéroïdes ou autres joyeusetés stellaires, aurait vraiment densifié l'expérience, et donnerait clairement envie de se dépasser et de s'acharner, même si la difficulté est au rendez-vous (comme dans un vrai jeu vidéo).
En attendant une version 2 qui sait !