Je ne vais pas vous le cacher, Romeo & Juliette n'était vraiment pas au top de ma shopping list de cette fin d'année. Du jeu coopératif, de la communication limitée, et ce sur fond de romance historique, on est loin de cocher les cases de base de mon jeu idéal (même si je cherche encore à quoi je suis doué).
Mais vu les premiers retours excellents, l'épisode 2 du reconfinement et le besoin vital de trouver tous les subterfuges pour faire jouer madame durant les weekends enfermés, je me suis finalement contraint à tester la bête.
Et s'il y a un point sur lequel Romeo & Juliette fait un sans faute, c'est sa plastique avantageuse. Une très belle boîte coffret qui s'ouvre comme une fleur pour révéler un plateau de six cases lieux intégrés, des illustrations chatoyantes parfaitement dans le ton italo romantico shakespearien de l'époque, l'éditeur a indéniablement bien travaillé son produit.
Dommage juste pour lui qu'on ne soit pas à une semaine de la Saint-valentin en conditions pré-2020, il se serait vendu comme des packs de bières au Hellfest. Mais si cela peut le rassurer, je l'ai offert à madame avec pour excuse d'avoir notre jeu en amoureux pour survivre à cette difficile fin d'année, et j'ai regagné de précieux points que j'avais perdu avec les dizaines de vaisselles oubliées. Si cela peut donner des idées à certains c'est cadeau !
En tout cas, si vous avez déjà lu la pièce ou zieuté le film avec le beau Léo Di Carpacho, le but est le même, faire triompher la romance entre Roméo et Juliette malgré l'opposition de leurs familles respectives. Littéralement. Dans le jeu, il faut réussir à atteindre le bout de la piste amour avant la fin du troisième acte, cette piste progressant d'un cran à chaque fois que les deux tourtereaux réussissent à se retrouver dans le même lieu, jeton passion activé.
Mais la Haine entre Capulet et Montaigu est vivace et fait partie intégrante du jeu. A chaque fois que deux membres de familles opposées se retrouvent au même endroit, c'est la bagarre. Et si en temps normal une petite joute verbale anime toujours parfaitement un mariage digne de ce nom, ici cela fait progresser le jeton haine de la piste du même nom qui, si il a le malheur d'atteindre sa destination, signe la défaite du sentiment absolu sans sommation.
Le jeu en lui même repose quand à lui sur un système de paquets lieux et personnages. Chaque amant débute ses tours avec quatre cartes de chaque type (tirées de ses decks persos) et à l'obligation d'en jouer deux, faces cachées, sans avoir le droit de concerter sa moitié ni de lui faire des signes distinctifs.
Le seul salut physique possible, c'est l'utilisation au préalable de missives, des jetons joker qui permettent de questionner l'autre sur la possibilité de le rejoindre à un endroit précis. Mais il va s'en dire qu'ils sont en nombre très limités au départ, et qu'il faut en règle général "perdre un tour" pour en récupérer. Donc on le fait pas souvent.
Une fois les cartes révélées, vient la partie hautement stratégique du jeu (effectuée conjointement par ondes psychiques entre les deux amants, bien entendu). Les deux personnages clés sont déplacés à l'endroit indiqué par leur cartes lieux respectives, on rameute les personnages choisis comme chaperons, et chaque joueur a doit ensuite activer le pouvoir unique du lieu de destination.
Ce pouvoir permet en règle générale de déplacer un ou plusieurs membres d'une même famille (utile pour rester seuls et/ou séparer des clans rivaux). Mais il peut aussi permettre de déplacer deux personnages particuliers du jeu, à savoir Frère Laurent, qui empêche les conflits dans le lieu où il se trouve, et l'Allegorie de la Haine, qui a la fâcheuse tendance à augmenter la jauge du même nom dès qu'il est en contact avec un autre personnage.
Et rien à dire, l'ensemble tient vraiment la route. Malgré un corpus de règles finalement assez restreint, Romeo & Juliette offre un défi profond, demandant en tout temps réflexion, tactique et une bonne dose de coordination, afin de réussir à l'emporter. Si durant les premières parties on a souvent peur de manquer de temps et on tente de se rejoindre à tous les tours, on se rend compte ensuite que temporiser peut être souvent plus judicieux.
Que ce soit pour préparer le terrain à des rendez-vous moins dangereux dans les tours suivants, ou éviter des montées de haine hâtives qui peuvent coûter chères en fin de partie.
Romeo & Juliette est clairement un bel objet ludique pour deux, que ce soit visuellement ou stratégiquement. On savait les deux auteurs plutôt à l'aise avec les jeux de cartes : Julien Prothière s'était déjà essayé à de la communication limité (Kreus), alors que Jean-Philippe Sahut avait plutôt bien marqué les esprits en jouant sur les sentiments (Affinity). Cette collaboration, véritable mix des expériences passées des deux auteurs, fait mouche, et montre qu'il est encore possible de surprendre avec un paquet d'une trentaine de bouts de cartons rectangulaires.
Après, attention, Romeo & Juliette se veut un peu plus "expert" que leurs jeux précédents. A l'instar d'un The Mind ou The Crew qui s'apprivoisent et se lancent très rapidement, Romeo & Juliette demande un peu plus de temps d'apprentissage et un minimum d'implication des deux joueurs pour profiter de la partie. Si vous jouez avec quelqu'un qui a très peu d'expérience dans le jeu de société, il peut même être judicieux de faire une partie d'initiation "à la parlotte", afin de permettre au débutant d'appréhender au mieux les règles et de créer des premières "connexions" indispensables à un semblant d'espoir de victoire.
Par contre, si j'avais un bébé bémol à émettre, c'est que Romeo & Juliette s'avère peut-être moins "sensoriel" que le titre le laisse présager de prime abord. Après une ou deux parties, vous prendrez vite mesure de l'importance de certains lieux et combinaisons d'actions, et le jeu peut devenir au final (pour des habitués du jeu) plus un travail de synchronisation mécanique que de la divination des ressentis et des possibles coups de son partenaire.
Et cela casse selon moi un peu l'intérêt des chapitres, un système de niveaux incluant des conditions de départ de plus en plus difficiles. La re-jouabilité par la difficulté est une bonne idée, mais comme ici cela impacte à peu près que la disposition initial des personnages et le nombre de missives, on a vite fait de retrouver des routines habituelles après quelques tours de remise en place.
À noter quand même que le jeu à la bonne idée d'intégrer un système d'évènements, qui se déclenche à chaque rendez-vous honoré par un petit câlin, et qui vient mettre un peu d'aléatoire et de suspense dans les parties.
Juste dommage que cet aspect ne soit pas davantage scénarisé pour favoriser l'immersion (par des vrais petits bouts d'histoire), et qu'il manque un peu de variation. Déplacer des personnages ou voir des effets de lieux bloqués, c'est à peut près tout ce qui survient par ce biais, alors que le système aurait pu autoriser toutes les folies, comme l'obligation de rejoindre un endroit en moins de X tours, ou permettre de réaliser des missions secondaires lucratives. De quoi rajouter quelques épices sur les spaghettis et exciter l'électrocardiogramme d'une partie qui peut avoir tendance à lézarder.
Mais rassurez-vous, je fais surtout ma fine bouche. Romeo & Juliette est un chouette petit jeu qui mérite de (et va certainement) trouver son public. Il s'avère être l'une des très belles pioches deux joueurs des fêtes à venir. Une idée à bien garder en tête, surtout si vous manquez d'imagination pour votre cher(chère) et tendre. Et que vous voulez surtout faire une belle action en soutenant votre magasin de jeux préféré.