Poursuivre le travail de l'enlumineur Tybor Kwelein, qui avait pour but de recenser les espèces vivantes des quatre règnes vivants de la forêt primaire dans un manuscrit secret. C'est le pitch de Codex Naturalis, un petit jeu stratégique de construction de tableaux qu'il faut le dire fait son petit bruit depuis ce début d'année (nécessitant de sauter rapidement sur les maigres stocks à chaque vague de reprint).
Si en partie ce plumage détonnant s'efface rapidement au profit de ses ramages, le sujet a tout de même permis à l'équipe créative (l'illustrateur Maxime Morin en tête) de proposer un résultat qui marque les rétines. En plus d'illustrations lumineuses empreintes d'un certaine fantaisie, d'une iconographie onirique et divers effets de dorure et de reflets en tout genre sur le matériel, le jeu se présente dans une petite boîte carrée en métal embossé qui magnifie véritablement l'ensemble. Indiscutablement, le jeu est sublime, et il est certain que cette qualité a indiscutablement participé au succès de l'œuvre dans les étales et sur les tables de France et de Navarre.
Cette écorce de Chêne centenaire majestueux recèle en son sein un gameplay épuré et très accessible, qui ne demande à son tour que de jouer une carte de sa main (composée de 3 unités maximum) puis d'en piocher une nouvelle récupérée de l'une des deux rivières disponibles.
Toute la subtilité de Codex Naturalis repose sur la conception d'un "arbre" individuel, venant avec ses contraintes particulières. Chaque nouvelle carte doit toujours couvrir au moins le coin d'une autre carte déjà placée, sans se superposer totalement à une autre carte, et ne peut pas couvrir des coins sans espaces autorisés. Les cartes dorure nécessitent de posséder une combinaison d'icônes ressources sur le moment pour être posées, ce qui peut-être facilité en amont par la pose de cartes Argent qui permettent d'ajouter à son tableau plusieurs ressources d'un coup.
Cette mécanique d'arborescence est astucieuse et se montre très sympathique à l'usage, et même si le choix judicieux est souvent évident, il va régulièrement vous demander de prendre des décisions douloureuses. Recouvrir des coins proposant des icônes pouvant vous servir plus tard, devoir régulièrement choisir entre favoriser des cartes Dorure lucratives à l'instant T au dépend d'objectifs sur le long terme, ... un chouette casse-tête se cache dans les entrailles d'un Codex Naturalis qui se veut calculatoire sans être trop frustrant, la possibilité de jouer chaque carte recto-verso (proposant toujours une face ouvrant davantage le jeu au détriment des gains immédiats) empêchant de rester bloquer dans sa stratégie.
Reste que ce n'est pas l'exhaustivité ou la variété de ses trouvailles qui est récompensé dans Codex Naturalis, mais bien la rapidité d'action : Le premier joueur a atteindre 20 points déclenche la fin de partie, et un comptage final où chacun va rajouter à son total les points de ses objectifs secrets tirés au hasard aux prémices de sa balade champêtre. Ce choix surprenant a le mérite d'offrir des parties rythmées, tendues et surtout très rapides (30 minutes grand maximum), permettant à ceux qui le souhaitent d'en enchaîner quelques-unes à la suite.
Malheureusement pour moi, cet "artifice" qui rend trop la temporalité du jeu incertaine (empêchant de vraiment miser sur des stratégies long terme) se rajoute à la liste de quelques défauts gênants qui ne me donne pas forcément envie de m'inclure dans ce genre de tablées trop euphoriques.
Car j'ai déjà un vrai souci avec le hasard de la pioche, qui s'avère être trop déterminant dans le succès d'une partie. Comme chaque marché de cartes (Argent et Dorure) n'est constitué que de deux cartes visibles en tout temps, un joueur qui a misé sa stratégie sur une ressource en particulier peut vite se retrouver à court si les bonnes cartes de couleur ne tombent pas, surtout à 2 ou 3 ou le renouvellement des marchés se montre beaucoup plus lent.
Se rajoute à cela un jeu combinatoire peut-être un peu en deçà de mes espérances. Certes, Codex Naturalis n'est pas avare en moyens de scorer : Avoir une certaine combinaison de ressources ou respecter un alignement de cartes de couleurs précises sont des objectifs louables quand au même moment il est possible de scorer à tout moment avec des points directs ou en couvrant un maximum de "coins" de son tableau. Mais il n'empêche que l'on fait vite le tour, et que je n'arrive pas à m'enlever de l'esprit que ce système d'arborescence aurait pu permettre de pousser le curseur de complexité beaucoup plus haut, en jouant par exemple sur la filiation mère / fille ou des pouvoirs se déclenchant avec l'adjacence.
Mais peut-être ce qui me bloque le plus avec ce titre, c'est l'absence d'une vraie implication d'un thème qui rend Codex Naturalis désespéramment abstrait et solitaire. Bien sûr, ce n'est pas un mal en soi d'être un jeu "sérieux", et beaucoup aiment ces titres où la réflexion passe avant toute sorte de conflit, que ce soit en jeu ou dans les rapports humains. Mais cela fait de Codex Naturalis pour ma part un jeu difficile à privilégier dans la masse de jeux du genre, quand surtout certains arrivent beaucoup mieux à faire passer l'émotion d'un semblant de thème en jouant de concepts aussi simples (Arboretum, Photosynthesis, voir Bosk).
N'empêche que malgré ses "petits" écueils (que j'avouerai peut-être un peu disproportionnés à cause de la "hype" qui a peut-être créée trop d'attentes chez moi) Codex Naturalis n'est vraiment pas un mauvais bougre. Et il est sûr qu'il ne fera tâche dans aucune ludothèque, surtout qu'il ne prend pas de place, qu'il est diablement aguichant visuellement, et qu'il propose sa petite expérience de puzzle-game intelligent et rythmé collant avec le planning et les envires de pas mal de familles en manque de temps de jeu flagrants.
La balle est dans votre camp à présent !