
Deux ans. Cela faisait au moins deux ans que j'attendais de poser mes petites pattes mi velues mi vieilles sur Everdell, un jeu qui n'a jamais cessé d'enflammer les discussions et les charts BGG depuis sa sortie.
Une version Kickstarter localisée loupée, une VF boutique qui a vraiment tardé à se concrétiser. Et des stocks qui ont fondus cette année comme neige dans une cabine UV. J'ai lutté contre mon impatience et des dizaines de ludistes (que j'ai du enterrer dans la forêt) pour enfin réussi à récupérer une copie. Et ce que je peux déjà vous dire (sans trop vous spoiler) ... c'est que c'est exactement comme je m'y attendais !

Construisons dans les bois
Everdell est un jeu de cartes qui combine du placement des travailleurs avec le développement d'un village "bestial". Propulsés dans une forêt fantastique où l'anthropomorphisme à donner aux animaux le goût de la vie citadine, les joueurs doivent collecter des ressources afin de construire des bâtiments, tout en essayer de recruter un maximum de créatures dans ses murs avant le début de l'hiver (qui signifie la fin de partie).
Une partie complète se compose de quatre tours, chacun reprenant l'une des saisons de l'année. Chaque chef de clan débute avec deux ouvriers, une main de cinq cartes de départ (tirées au hasard) et une ville vierge de tout bâtiment. A savoir qu'au maximum, le joueur ne pourra pas avoir plus de 15 cartes dans sa ville, 8 cartes dans sa main à la fin de son tour et 6 ouvriers à jouer, en sachant qu'il en reçoit 1 ou 2 à la fin de chaque cycle saisonnier.

La logique du jeu suit une routine très habituelle pour le genre, où un joueur a, à son tour, le choix entre deux actions principales :
Jouer un ouvrier lui permet de placer l'un de ses animaux travailleurs sur une case action disponible du jeu. Si le plateau commun propose des emplacements permanents utiles pour collecter l'une des quatre ressources du jeu (bois, résine, pierre et baie) ou piocher des cartes supplémentaires en main, le joueur peut aussi se tourner vers les emplacements offerts par certaines cartes bâtiments construites (voir détail plus loin). Comme dans la plupart des jeux du genre, on peut trouver dans Everdell des emplacements limités à un seul joueur, et des zones de masse qui, elles, ne souffrent d'aucune contrainte numérique.
Il est également possible de placer un ouvrier sur l'une des quatre cartes actions de la forêt, tirées au hasard en début de partie, et qui s'avèrent plus généreuses en ressources que les actions de base (mais sont toujours limitées en place). Le dernier aspect mis en avant par Everdell est la conquête d'évènements, communs et spéciaux (ces derniers sont également aléatoires), qui permettent au premier joueur réussissant à satisfaire aux conditions et à placer un ouvrier dessus de remporter un gain de points non négligeable pour le décompte final.

La deuxième action possible, jouer une carte, permet de placer dans son village soit une carte de sa main, soit une carte de la prairie centrale (8 occurrences toujours disponibles), en payant au préalable le coût en ressources indiqué.
Il existe deux types de cartes (bâtiment et créature) et surtout cinq couleurs de cartes dans le jeu dont l'activation diffère : Effet immédiat pour une carte voyage (marron); Effet immédiat plus à la fin du printemps et de l'automne pour une carte production (verte); Ajout de zones d'actions pour une carte destination (rouge); Des capacités activable selon conditions pour une carte gouvernance (bleue); Et des points supplémentaires en fin de partie pour une carte prospérité (violette).
Si le joueur ne veut ou ne peut plus effectuer l'une de ces deux actions, il a le choix de passer à la saison suivante, et ainsi récupérer tous ses ouvriers joués et activer les bonus liés à la fin de sa saison en cours (que ce soit bâtiments ou travailleurs supplémentaires).

Une balade bucolique
Everdell est un jeu qui réchauffe véritablement l'âme. Au delà d'un temps maussade ou de températures trop basses pour notre besoin vital de chaleur. Au delà de journées de doutes qui nécessitent le soir de trouver du réconfort. Au delà d'idées noires causées par une situation humanitaire qui nous ronge depuis des mois.
Si le jeu y arrive si bien, c'est déjà en premier lieu par la beauté de sa parure. Juste somptueuse. Et qui fait entrer sans nul doute Everdell dans mon top 3 des jeux les plus beaux que j'ai jamais testé.
Si vous vous y aventurez pour la première fois, vous serez irrémédiablement attirés par son arbre en trois dimensions, qui se dresse fièrement au dessus d'un plateau principal à la forme originale.

On peut bien sûr toujours lui reprocher son manque d'intérêt mécanique, le fait qu'il complexifie l'accès à la pioche, et qu'il a tendance à gâcher l'expérience de 1 ou 2 joueurs sur les hautes combinaisons. Mais il offre une telle prestance à l'ensemble, il participe tant à cet effet waouh (même pour les yeux les plus aguerris), qu'il est difficile de s'en passer, voir d'imaginer même ne pas prendre les deux minutes nécessaires (avec de l'entraînement) pour le monter.
De toute façon, c'est bien la seule chose cosmétique que l'on peut tenter de reprocher à Everdell, qui touche au sublime quant au reste du travail d'immersion réalisé.
Du matériel à l'ergonomie visuelle du plateau central, de la boîte à l'art des cartes, tout est fait pour nous plonger dans un monde enchanteur doux et rassurant que vous ne souhaiterez jamais quitter, malgré forcément l'obligation d'une compétition à laquelle vous devez prendre part.
Rien que le travail sur les composants est déjà remarquable. Chaque ressource n'a pas seulement une forme qui correspond à son aspect réel, non. Le matériel utilisé vise aussi à reproduire la sensation de l'objet réel. Et cela marche de feu de pneu : L'aspect spongieux des baies, qui ressemble à celle d'une framboise, donner envie de les croquer. Ou de lancer ses adorables petites pierres polies pour tenter de battre des records de ricochets !
Mais que dire des illustrations, juste époustouflantes. De véritables œuvres d'art, de la boîte aux différentes cartes du jeu, qui poussent même le vice à intégrer le personnage qui peut être acheté gratuitement dans la carte bâtiment liée.

Tout cela fait que le thème transpire véritablement par tous les pores du jeu, et semble raconter, par la présence de personnages hauts en couleur, une histoire qui pourrait tout à fait bien partie intégrante d'un conte historique ou d'un best-seller pour enfants.
Et cette douceur générale, on la retrouve globalement sous le capot feuillu du jeu. Car il faut véritablement vous attendre avec Everdell à un jeu qui prend son temps.
N'espérez pas ici trouver ce jeu dynamique qui vous fera foncer à toute allure vers la victoire. On passe bien cinq minutes en début de partie à réfléchir intensément à quelle direction stratégique prendre, au vu des objectifs en place et de toutes les cartes disponibles. Et l'on prend bien deux saisons à grapiller chaque ressource possibles, en attendant de patiemment monter un semblant de moteur capable de s'emballer dans la dernière ligne droite du jeu.
Everdell est clairement à ranger du côté des jeux de réflexion lents et piégeux, surtout si l'on rate son entrée en scène. Du genre exercice d'équilibriste, de patience et d'adaptation, qui malgré des options rapidement évidentes va tenter de vous fermer des portes grâce à un tirage qui aime jouer les trouble-fêtes.
Si le genre ne siéra pas à tout le monde, il offre l'avantage de se montrer plutôt accessible, riche d'un système d'actions limités compensé par la profondeur indéniable de choix stratégiques offertes par sa variété de cartes différentes.
Il faut par contre ne pas s'attendre avec Everdell à une révolution du jeu de placement d'ouvriers : Le bébé de chez Starling Games emprunte des chemins ultra balisés qui, à défaut de surprendre par ses mécaniques, offre en dédommagement un équilibre certain, une réflexion prenante et une rejouabilité appréciable (par sa variabilité affirmée). Et ce dans un écrin juste somptueux.

Dernières pensées de randonneur
C'est après des expériences comme celle-ci que je me dis qu'on a quand même de la chance de vivre dans une concurrence ludique où désormais, on a le droit de s'attendre à des jeux aussi sublimes visuellement que géniaux mécaniquement. Si le pouvoir d'évasion d'Everdell est à la limite du magique, il partage néanmoins avec Parks ce petit défaut de manque d'originalité qui auraient fait d'eux, sinon, des chefs d'œuvres absolus.
Mais on en reste clairement pas loin. Et cette proposition suffit déjà à mon bonheur de joueur, et ne devrait pas manquer de toucher massivement un public francophone qui se languissait depuis trop longtemps d'approcher la bête.
Pour clore le sujet, reste à répondre à la question fatidique : Faut-il craquer pour l'extension Everdell : Pearlbrook, la seule aujourd'hui disponible en français ?
Bah je répondrai oui... et non. Vous avez déjà 100 parties à votre actif, et que vous cherchez à densifier l'expérience de jeu tout en reprenant du plaisir à découvrir Everdell sous un nouveau jour ? Oui n'hésitez pas, car elle rajoute quand même un nouveau plateau rivière, un personnage spécifique (grenouille), une nouvelle ressource (la perle), et un système de cartes merveilles qui remplacent astucieusement le système d'évènements de base (un peu sous-utilisé dans le jeu de base).
Mais si comme la majorité des gens, vous avez une consommation raisonnée de chacun de vos jeux, Everdell offre assez de consistance et de rejouabilité dans sa configuration de base pour se priver, pour l'instant, de l'achat d'une extension sympathique mais qui n'offre pas le rapport qualité / prix le plus imbattable du moment.



