Enfin ! Après quasi un an à rester végéter dans ma pile de la honte, j'ai enfin pu tester Nemesis, l'un des gros succès du jeu thématique de la plateforme Kickstarter (avec quasi 4 millions d'euros), et une valeur sûre du top BGG (22ème au moment où je vous parle).
Avec une note moyenne de 8.4/10, je n'avais aucun doute que le jeu ferait partie à l'avenir de mon top ludique. Un espoir tenu ?
La mort vous va si bien
Suite à une avarie, vous êtes brutalement réveillés de votre sommeil cryogénique. En vous levant, vous ne manquez pas de trébucher sur le cadavre de l'un des membres d'équipage déchiqueté au pied de sa capsule. Le vaisseau, clairement endommagé et à la dérive, semble avoir été envahi par des visiteurs loin d'être pacifistes. Et comble du pas de bol, votre cerveau congelé pendant de longs mois vous a rendu partiellement amnésique, ne permettant plus de vous souvenir de l'agencement du vaisseau ...
Ce pitch "alienesque" est bien le point de départ de Nemesis, un jeu de survie horrifique semi-coopératif où chaque joueur assume le rôle d'un membre d'équipage tentant désespérément de sortir vivant de ce guêpier.
Si collaborer est fortement conseillé (au moins au début), la victoire échouera aux joueurs qui arriveront à valider deux conditions individuelles obligatoires.
La première condition, et non des moindres, c'est d'être toujours en vie à la fin de la partie. Deux possibilités pour cela : Réussir à revenir dans une cabine de cryogénisation avant le passage en hyper vitesse (fin du 15ème tour de jeu), en ayant au préalable vérifié que le vaisseau se dirige bien vers la terre avec au moins deux moteurs sur trois fonctionnels. Ou alors atteindre une capsule de secours déverrouillée et active avant tout autre évènement qui mènerait à votre fin prématurée.
Car le jeu veut clairement votre mort, et propose un large éventail de manières d'échouer. Il y a déjà les Xenos, la source de tous vos problèmes, qui vont hanter les couloirs du vaisseau jusqu'à surgir inopinément devant vous. Rôdeurs, Adultes, Hybrides et la plus dangereuse d'entre toutes, votre belle-m... euh la Reine ... auront à cœur de vous mordre ou lacérer jusqu'à vous faire subir 3 blessures graves, signal d'une mort instantanée.
Mais le vaisseau en souffrance est lui aussi un danger. Plus de huit jetons feu à placer, le vaisseau explose. Une neuvième avarie se déclare quelque part, la coque se disloque. Si vous n'êtes pas à l'abri quand le vaisseau passe en vitesse lumière, vous êtes écrasé par la force G. Et si un joueur ou un évènement déclenche le mécanisme d'autodestruction du vaisseau... et bah vaut mieux l'arrêter à temps ou réussir à prendre la fuite avant la fin du compte à rebours !
Et même si arrivez à vous en sortir par miracle, reste encore à scanner toutes les cartes "contamination", qui n'auront pas manquées de pourrir votre deck de cartes, afin de savoir si vous êtes infecté. Vous êtes sain, super, vous pouvez poursuivre le reste de votre vie avec un chouette trouble de stress post traumatique. Dans le cas contraire, la gentille larve qui a décidé de venir habiter en vous quelques tours auparavant décide de muer et de sortir de votre torse pile à ce moment précis !
Reste à parler avec tout cela de la deuxième condition de victoire : Mener à bien l'un des deux objectifs secrets (corporation ou personnel) reçus en début de partie. Rejoindre le nid et détruire les œufs, envoyer un signal de détresse, mener à bien des recherches pour trouver un ou deux points faibles des aliens, envoyer le vaisseau sur Mars ... le choix est vaste, et votre mission peut s'avérer aussi "karmatiquement" positive que négative. Reste que comme un implant vous empêche d'agresser directement un autre membre du Nemesis, il faudra jouer de perfidie si d'aventure ... l'on vous demande de causer la perte d'un joueur en particulier !
Fluide glacial
Chaque partie de Nemesis se joue en 15 tours maximum, composés chacun d'une phase joueur et d'une phase "vaisseau", qui permet notamment de résoudre un évènement et déplacer/faire attaquer les ennemis déjà en place.
Au début de la phase joueur, tous les membres d'équipage doivent compléter leur main à 5 cartes depuis leur deck personnel (spécifique à leur personnage), et doivent tour à tour effectuer deux actions jusqu'à tous passer afin de déclencher la maintenance du vaisseau.
Un joueur peut effectuer l'une des 5 actions de base (à savoir se déplacer, tirer, ramasser un corps lourd, échanger ou fabriquer un objet), une action de carte ou une action de salle. Mais dans les deux cas, il doit défausser le nombre de cartes requis pour effectuer son action.
Le bruit est un facteur important dans Nemesis. Dès qu'un joueur se déplace dans une salle inoccupée, il doit lancer un dé spécifique, qui peut faire apparaître des jetons bruit dans un ou plusieurs couloirs avoisinants. Si à un moment donné deux jetons se retrouvent dans le même couloir, un jeton monstre aléatoire est tiré du sac opaque fourni, et le joueur se retrouve directement nez à nez avec la figurine alien correspondante.
Si une attaque ennemie surprise est toujours possible, le joueur garde la main sur sa destinée tant qu'il a encore des actions disponibles lors de ce tour. Deux choix principaux s'offrent à lui : Tenter d'affronter la créature, en espérant le vaincre à coup de jets de dé et de tirage de points de vie aléatoire avant que vienne le tour des monstres. Ou fuir, qui lui offre un peu du répit au prix de prendre, au passage, une attaque surprise gratuite.
Beaucoup d'actions possibles dépendent des cartes de nos decks mais aussi des pièces visitées. Je ne l'ai pas précisé, mais la configuration du vaisseau se fait au départ aléatoirement, et toutes les pièces sont disposées face retournée jusqu'à ce qu'un joueur réussisse à les visiter.
Les 11 salles de base (1) sont toujours présentes quelque soit la partie, et peuvent être soient liées à des missions (le nid pour l'accès aux œufs de Xenos, le relais de transmission pour envoyer un signal de détresse ... ), soit à des aides précieuses pour atteindre ses objectifs (le bloc opératoire pour soigner toutes ses infections, le système anti-incendie pour éteindre le feu dans une salle précise, etc...). Par contre seules 5 des 9 salles supplémentaires du jeu sont visitables, ce qui offre un certain renouvellement entre deux tentatives.
Nemesis vient avec beaucoup de subtilités de point de règles que je ne vais pas toute décrire. Notez tout de même que le jeu intègre un système d'objets assez poussé. S'il est possible de fouiller grâce à certaines cartes pour trouver trois types d'objets (militaire, technique ou médical), un joueur peut aussi décider de fabriquer un objet s'il possède les composants requis. Et y a pas à dire, un antidote ou un lance-flamme peuvent vite faire la différence à l'heure de survivre coûte que coûte !
Le jeu de société 4K
Il y a pas à dire, Nemesis est un jeu résolument unique, puissant, et incroyablement cinématographique. Des monstres surpuissants passant par les conduits et évoluant sans rien dire, aux couloirs sordides où la mort peut survenir de partout, Nemesis est un sublime hommage au genre, jouant de tous les codes et les images que l'on connait de la saga de Ridley Scott. Jusqu'à même vous rejouer la scène de l'évacuation de la Reine Alien par le sas extérieur si tous les voyants sont au vert !
Je reste certain que si le jeu avait pu bénéficier la licence Alien, il aurait suffit de modifier légèrement les visuels des Xenos et de renommer le vaisseau en Nostromo pour obtenir le jeu ultime des fans de la saga, tant la base mécanique est solide et colle parfaitement à ce monde.
Mais c'est surtout en jouant qu'on se rend compte que chaque partie pourrait faire l'objet d'un script génial à soumettre aux studios hollywoodiens. Ceci est possible grâce à l'excellent travail de l'auteur Adam Kwapiński, qui a su intégrer un maximum de concepts aidant à densifier le réalisme du jeu.
Gestion des objets lourds, blessures graves qui enlèvent des capacités, le crafting, un joueur couvert de mucus qui attire davantage les Xenos, un feu pouvant être à la fois son allié ou son pire cauchemar, etc... le jeu fourmille de petits détails qui démultiplient véritablement l'immersion. On peut bien sûr toujours être critique envers certains choix (comme le système de scanner que l'on avait plus vu depuis les années 1990), mais on s'y croit, et c'est bien là le principal !
Alors forcément, cette accumulation de petites mécaniques à un gros défaut, c'est qu'elle ne favorise pas la prise en main. Nemesis regorge en effet de petites règles spécifiques à des cas précis qui ne sont vraiment pas difficiles à appréhender individuellement. Mais qui misent bout à bout rendent la première approche un peu casse c***lle.
On a vite fait d'oublier une subtilité en chemin, ou se coltiner des allers/retours incessants dans un livret de règles qui ne fait rien pour vous aider, avec ses 28 pages difficiles à parcourir et qui en plus se la joue livre dont vous êtes le héros (voir détails A en page X, ou détails B en page Y...).
Nonobstant ce petit défaut, Nemesis s'avère être une vraie plongée dans le vrai Ameritrash qui s'assume pleinement.
Le matériel est déjà clairement à la hauteur de son sujet. Design général, illustrations des cartes, figurines, tokens, tout fonctionne admirablement bien ensemble et vaut le prix (assez conséquent) de la boîte. Même si on peut toujours retorquer que les Xenos sont un peu trop disproportionnés par rapport aux humains, et que le thermoformage est un peu chiche en place au niveau des cartes. Mais vraiment, le jeu embarque parfaitement dans un thème
Le hasard des rencontres
Et pour ceux qui aiment le hasard de la vie, vous allez être servi : Nemesis vous en donne un cargo conteneur chinois entier. Plan du vaisseau, choix du joueur, actions possibles à son tour, dégâts fait aux intrus, objets récupérés après une fouille, évènement de fin de tour, apparition du bruit et du type d'intrus, points de vie des Xenos après un combat, etc... l'entièreté du jeu est dirigé par des tirages de cartes ou de dés.
Vous allez clairement vivre l'aventure avec un grand A, qui va faire qu'arriver dans une salle, vous pouvez avoir la chance de tomber sur votre objectif prioritaire, où le voir apparaître à l'autre bout du vaisseau. Qu'au détour d'une couloir, vous pouvez tomber soit sur le loot qu'il vous fallait, soit sur la Reine Xeno accompagnée de huit de ses sbires.
Malheureusement, à cause de parties qui peuvent traîner en longueur, le caractère très aléatoire du jeu peut vite engendrer des situations fort désagréables. Car dans Nemesis, rien n'empêche un joueur de participer à deux heures de jeu puis de subir un malencontreux événement qui signe sa mort immédiate, sans possibilité de contre ou de réaction. Il est aussi probable qu'un joueur décède précipitamment, ou à contrario, qu'il réussisse son objectif en quatre ou cinq tours, puis doive se contenter de vivre par procuration l'aventure un peu plus conséquente de ses partenaires de tablée.
Bien sûr, c'est toutes ces petites choses qui écrivent des histoires que l'on aiment à se raconter à postériori. Mais sur le coup, on se demande comment ce genre de mécanisme assez hasardeux peut encore exister dans un jeu récent.
Pour tout vous avouer, j'étais persuadé en achetant Nemesis il y a quelques mois que ce serait le premier jeu auquel je mettrai la note maximale. Une thématisation de dingue, un sujet que j'affectionne, un vrai jeu de décisions qui peut défaire des amitiés ... tous les ingrédients étaient là pour me convaincre. Loupé !
Car il est difficile d'être catégoriquement positif quand un jeu peut, selon la bonne volonté du hasard, vous faire vivre la partie la plus épique et incroyable qui soit. Ou au contraire, une partie qui se finit en queue de boudin et vous frustre beaucoup, surtout après plusieurs heures de jeu à batailler. Il se peut aussi que tous les joueurs décident de la jouer en solo, et que votre partie devienne aussi interactive qu'un solitaire. Mais là cela dépend beaucoup de votre tablée et de votre capacité à immerger les foules...
Nemesis reste tout de même un monument du jeu à l'américaine pour plein de raisons citées auparavant, et que je vous conseille ardemment de tester au moins un fois dans votre vie si vous aimez vivre des films sur plateau.