Quand le nom de Bruno Cathala apparaît sur une boîte, c'est souvent gage de la présence de formes diverses à emboîter sous le couvert de petites mécaniques de réflexion agréables et stimulantes. Et Orichalque, le petit dernier du maestro français (en co-autorat ici avec Johannes Goupy), ne déroge pas à la règle, en proposant de développer un petit royaume post-Atlantide pour son peuple, mais tout en exploitant une terre nouvelle, gérant au mieux ses ressources et se débarrassant de la vermine du coin ... Tout comme dans tout bon jeu de civilisation !
L'exploration intéressée
Et dans Orichalque, vous n'avez pas le temps. Vous devez plus rapidement que vos adversaires remplir vos 5 emplacements d'orichalque, tout en vous assurant qu'aucun mal ne pourra venir briser la quiétude de votre peuple. Pour cela vous avez deux possibilités : Soit forger des médaillons du précieux métal (en bâtissant des temples ou les troquant contre 5 pépites), ou en attirant les faveurs de l'un des 4 Dieux qui viendra se placer sur votre plateau tant que personne d'autre réussira à le convaincre de changer d'avis.
La base mécanique du jeu reste ici la construction de votre nouveau monde. Chaque joueur part à l'aventure avec un plateau île vierge et une tuile Métropole de 2 cases, qui lui offrira selon ce qu'il recouvre 2 Hoplites (meeples guerriers bleus), 2 pépites d'or ou un panachage des deux.
À son tour, une seule obligation : Prendre une carte Action du marché commun, en payant un éventuel coût si besoin. Celle-ci propose toujours une tuile terrain de 1 à 3 cases (tirée du bon tas selon la forme affichée sur la-dite carte), qui se doit toujours d'être adjacente à une autre de ses tuiles déjà placées. Le joueur se voit l'obligation de la défausser s'il ne peut pas respecter la règle.
La carte affiche de plus un symbole qui propose facultativement d'effectuer une des quatre actions du jeu : Produire de l'Orichalque, Recruter des Hoplites, Capturer des Créatures ou Construire.
Les deux premières actions se basent sur le nombre de bâtiments disponibles sur votre île pour vous permettre de récupérer autant de ressources. Si par exemple vous avez 3 Mines, vous obtenez directement 3 pépites de la réserve générale.
L'action Capture permet elle d'engager un combat contre un monstre présent sur votre île. Pour cela vous devez lancer un dé, avec la possibilité de rajouter un dé pour chaque Hoplite que l'on engage dans la bataille. Si vous atteignez au moins la valeur de défense inscrite sur sa tuile, il prend la direction de vos geôles, vos combattants retournent eux dans la réserve générale, et vous avez la possibilité d'engager un nouveau combat. Si votre offensive échoue, votre action prend directement fin, mais vos Hoplites engagés restent disponibles auprès du monstre jusqu'au prochain combat.
Construire permet de construire au choix un bâtiment, un temple ou un médaillon, avec pour les deux premiers une gratuité mais des conditions de pose en échange. Dans les deux cas, le joueur doit les positionner au dessus de tuiles placées au préalable sur son île, recouvrant par la même leurs types.
Un métal plus dense qu'il en a l'air
Pour être tout à fait franc, nous étions assez dubitatifs lors de nos premiers tours. Prendre une carte, poser une tuile, déclencher une action assez limitée ... on a vraiment eu l'impression d'agir machinalement, de jouer à un jeu très simpliste, en passant ensuite au moins le double de temps à rafraîchir le marché, tirer une nouvelle tuile et piochant d'éventuels monstres ou bâtiments des sacs opaques.
Mais une fois quelques tuiles posées, la richesse tactique du jeu commence à se révéler.
Déjà, parce qu'Orichalque soumet le joueur a de nombreuses contraintes qui s'entremêlent et qui conditionnent énormément la vitesse de son développement.
La construction de temple nécessite une base de 4 terrains adjacents différents formant un losange pour être construit. On peut s'aider d'un ou plusieurs terrains volcans (qui font office de joker), en sachant qu'un volcan vient forcément toujours avec un monstre, dont on connaît la valeur à la mise en place du marché.
Et les créatures sont taquines, car tant qu'elles sont présentes sur votre île, il vous est impossible de construire un temple ou un bâtiment sur une case adjacente, sauf capacité spécifique.
Si on rajoute à cela que vous n'obtenez les faveurs d'un Dieu que si vous arrivez à créer un bloc d'au moins trois cases arborant son type phare, la réflexion se montre vite vive. On en vient à bien peser chaque placement de volcan, chaque pose de tuile, afin d'essayer autant que possible de s'ouvrir le "cahier de jeu" (car on ne sait jamais ce que le tirage du marché nous réserve) sans se fermer des actions à court terme.
Et cela ne serait rien sans la mécanique d'action supplémentaire, la super idée du jeu selon moi. Pour 2 Hoplites, 2 Pépites ou 2 Créatures capturées de sa réserve, un joueur peut finir son tour en déclenchant l'une des icônes d'actions disponibles dans le cartouche correspondant.
S'il est vrai que se défausser de ressources peut être préjudiciable pour la suite de la partie (les Hoplites servent à la fois pour combattre et définir le premier joueur à chaque manche), cela permet souvent de déclencher des enchaînements qui, bien pensés, peuvent vous faire jouer plusieurs fois d'affilée. Pouvant vous permettre de combler rapidement un retour, mettre la pression sur vos adversaires, ou à l'inverse accélérer d'un coup pour déclencher la fin de partie et remporter la victoire !
Toutes ces subtilités mécaniques font d'Orichalque un titre résolument dynamique, profond et attachant. Pour sûr, la course à l'objectif finit toujours par prendre le pas sur l'aspect "civilisation" du jeu. C'est peut-être mon seul petit regret (sans être un défaut en soi) : J'aime beaucoup l'aspect 4X simplifié intégré ici de jolie manière, et je pense qu'il aurait fait merveille dans le même jeu mais prenant place sur un plateau commun (permettant du coup de créer encore plus de tensions stratégiques et d'accentuer une interactivité un peu en retrait ici).
Reste quand même au final un très bon jeu de course familial, qui plaira à tous les enfants en quête de grandeur tout en restant amusant pour des parents plus exigeants. Le jeu donne assez de consistance et de latitude à ses petites mécaniques combinatoires pour offrir des parties tendues et au résultat incertain jusqu'au dernier tour (je crois qu'aucune partie chez nous a fini sur le vainqueur présumé au 3/4 du jeu).
Ce qui ne gâche rien, c'est que le titre en met aussi plein les mirettes, par sa direction artistique moderne du plus bel effet. C'est sûr que cela oblige à débourser quelques euros de plus que pour un jeu de pose de tuiles classique. Mais c'est le prix à payer pour avoir un matériel d'excellente facture et surtout ... pouvoir arborer un beau mec aussi coloré que trop stylé (on dirait Nico) au dessus de sa ludothèque !