Avant de parler du jeu, parlons ... du nom du jeu. La machine de Turing n'existe pas. Oui ça fait mal de se prendre ça dans les dents dès la première phrase, mais restez, ça vaut le coup (enfin je pense).
Elle n'existe juste pas physiquement. C'est en fait un modèle de calcul abstrait introduit en 1936 par Alan Turing pour tenter de résoudre, au départ, un problème soulevé 8 ans plus tôt par l'un de ses confrères.
Si j'en parle, c'est que cette procédure "mécanique" (on peut très bien l'imager comme une machine à écrire contrôlée par un programme) a permis l'éclosion de grandes théories mathématiques, mais surtout de l'algorithmie, dont les concepts clés ont été repris bien plus tard pour la conception de l'ordinateur.
Turing Machine (le jeu) est un véritable hommage à l'homme, qui en plus d'être quasiment le "papa" de l'informatique telle qu'on la connait aujourd'hui a de plus joué un rôle majeur dans la cryptanalyse de la machine Enigma utilisée par les armées allemandes durant la seconde guerre. Si on est en paix aujourd'hui, c'est un peu grâce à lui. Excusez du peu.
Mais l'esprit "machine" n'est pas si loin, car Turing Machine réussit la prouesse de vous apporter, en tout temps, des réponses logiques à toutes vos questions dans votre quête de déduire un code de trois caractères, et ce avant vos adversaires.
Comment ça marche ? Lors de chaque partie, un certain nombre de cartes Critères est placé au centre de la table, en cercle autour d'un ilot central de tri. Chaque Critère répond à une série de tests particuliers (comme le deuxième chiffre est inférieur, supérieur ou égal à 4, ou le total des chiffres est un multiple de 3 ou pas...) et est toujours associé à une carte Vérificateur affichant une grille de symboles codés.
Au début de chaque tour, un joueur peut prendre trois cartes perforées réalisant le code qu'il veut tester et doit les superposer, de telle sorte que l'ensemble laisse entrevoir un trou visible derrière lequel il pourra glisser derrière jusqu'à 3 cartes Vérificateur maximum.
Une coche verte apparaît au travers ? Le code répond positivement à l'une des suppositions de la carte Critère testée. Reste à savoir laquelle, et c'est alors tout un travail de déduction qui commence pour éliminer une à plusieurs possibilités, avant d'enchaîner d'autres cartes Vérificateur et de tester d'autres codes les tours suivants.
Turing Machine propose deux manières de vous lancer dans le jeu. Le livret propose déjà 20 énigmes de départ pour apprivoiser le système et vous faire la main sur le gameplay plus que déroutant au départ. Mais il est vivement conseillé de passer rapidement sur la petite application en ligne, gratuite, qui offre elle plusieurs modes de jeu (compétitif / coopératif), trois niveaux de difficultés, et un nombre d'énigmes dépassant les 7 chiffres !
Cependant, chaque joueur ne pourra réaliser qu'une proposition de code dans les deux cas. Il trouve le bon code avant les autres, c'est gagné, sinon, il est éliminé de la course à la victoire et n'a plus que jouer de patience en attendant la prochaine partie !
Et je le dis sans détour, Turing Machine est un jeu exceptionnel. Il abasourdit déjà rien que par sa conception. Comment ont-ils fait pour créer ces intercalaires qui ne révèlent qu'un trou à chaque fois ? À réussir à afficher la bonne réponse pour chaque test de chaque combinaison cartes Vérificateur / 7 millions d'énigmes du jeu ? À réaliser tout bonnement un ordinateur sur papier ?
J'ai pourtant enquêté et on ne le saura certainement jamais. Et c'est tant mieux pour la légende d'un titre qui s'avère, indiscutablement, l'un des meilleurs jeux de déduction du marché.
Il n'y a pas plus gratifiant de devoir mener une "enquête" est de voir peu à peu les pièces du puzzle s'assembler pour faire germer en nous la solution que l'on pense exacte. Et faire naître par la même occasion un sourire intérieur qui répond autant à notre satisfaction de soi même qu'à une montée d'égo compulsive mais temporaire.
Et Turing Machine réussit parfaitement cette entreprise, dans un esprit jeu de course qui en plus sait générer une vraie émulation à table malgré l'introspection obligatoire et ultra solitaire qu'impose le jeu.
Le jeu se montre de plus hyper bien édité. L'ergonomie générale est quasi-irréprochable (j'y reviendrai plus tard), les règles sont concises et claires. Et l'empreinte "informatique" sur le titre s'avère aussi sobre et fonctionnel qu'il se montre propre et moderne, tout en n'étant pas avare de beaux clins d'œil, via notamment la boîte qui reprend le concept du jeu pour valider ou pas ... le bon sens du couvercle !
Mais attention ! Turing Machine reste un jeu "de niche", dédié à un public particulier. Il faut aimer tenter de casser des codes, résoudre des énigmes logiques, passer 20 minutes totalement concentré sur une feuille de notes pour relier des indices entre eux. Si vous avez horreur des chiffres, de devoir faire des déductions basées sur des opérations mathématiques (mêmes simples) ou si vous n'avez tout simplement pas la fibre "cartésienne", vous ne prendrez aucun plaisir à jouer à la proposition de Yoann Levet et Fabien Gridel.
Mais pour les autres, c'est du pain béni, le cadeau de Noël avant l'heure. Turing Machine offre une expérience aussi éprouvante que jouissive, doublé par une rejouabilité dingue avec ces multiples moyens de configurer ses parties. De plus, si les premiers casse-têtes peuvent se résoudre en deux tours de jeu, les Vérificateurs au chiffre "élevés" peuvent vite devenir retors (on a d'ailleurs eu du mal à les comprendre, un souci sur lequel l'éditeur va travailler selon des retours de joueurs). Et si vous en avez pas assez, l'application propose un mode "Extrême" (dans lequel il y a 2 cartes Critères devant chaque vérificateur, dont une seule valide) et un mode "cauchemar", dans lequel vous ne savez pas à quel vérificateur est associé.
Bien assez pour vous faire regretter d'avoir été trop confiant !