La surpopulation guette, la terre se réchauffe dangereusement (ce n'est pas moi qui le dit, mais les lanceurs d'alerte !). Si la majeure partie des grands de ce monde ont les yeux tournés vers le ciel pour tenter de résoudre ce double souci, Vladimír Suchy a proposé en 2018 une solution non moins originale pour palier au problème : Coloniser les fonds-marins.
Un thème über original et une dominance de bleus en tout genre qui vont vous accompagner tout au long de vos pérégrinations dans un pur jeu de développement et de pose d'ouvriers, qui n'en oublie pas la gestion de ressources et de main pour attirer les joueurs "sérieux".
Et dans Underwater Cities, la conquête du plancher océanique se fait ni plus ni moins en dix tours, une partie étant entrecoupée de trois grandes phases de production qui permet de récupérer l'usufruit de toutes les constructions réalisées sur son plateau personnel (quasi-vide au départ).
L'ensemble du jeu est drivé par un plateau général, qui propose plusieurs marchés de cartes et un éventail de cases actions différentes (la plupart ne pouvant accueillir qu'un "ouvrier"). Ces actions permettent majoritairement aux joueurs de gagner des ressources (algue, flexacier, science, biomateriau) ou développer sa civilisation, via l'ajout de ville - dôme -, de bâtiments divers - pastilles - ou des tunnels de liaison.
Les cartes sont une part importante du jeu. Chaque joueur ne peut en avoir que trois maximum en main à tout moment, et se voit obligé d'en défausser une dès qu'il tente de réaliser une action. Et elle peut s'avérer importante, car le joueur peut tirer bénéfice de sa carte si la couleur de la carte correspond à celle de l'action activée. Dans le cas contraire, il doit la mettre au rebus sans effet.
Il en existe plusieurs types. Les cartes à effet immédiat (symbole éclair) se déclenchent une seule fois avant ou après une action (au choix), et doivent être défaussées après utilisation.
Chaque autre type de carte (effet permanent, action, production ou décompte final) est à placer sur le côté du plateau et offrent des effets de manière situationnelle, respectivement lorsque surviennent certains événements ou conditions (symbole infini), quand le joueur active une case du même nom (symbole A), lors des tours production (symbole rouage) ou en toute fin de partie (symbole montre).
Toute la logique interne d'Underwater Cities repose sur une mécanique simple, un tour consistant en une boucle qui prend fin quand chaque joueur à terminer de placer tous ses travailleurs (à raison d'un à la fois). Si la routine de jeu reste un classique pour le genre, elle suffit largement à soutenir un jeu aux mécaniques solides qui en a véritablement dans le ventre.
Car si la gestion de votre Arche de Noé maritime va vous occuper longuement, entre la construction de votre empire marin, la création du réseau permettant de rendre fonctionnel chacun de vos hubs de vie, le raccordement des mégalopoles bénéfiques en avantages et points de victoire et le nourrissage de vos concitoyens, le jeu vient avec un système de cartes qui peut se montrer vraiment brûle-neurone.
Votre stratégie, que ce soit à court terme (pour le choix des actions) ou long terme, sera forcément dirigée par des cartes offrant une variété plaisante de possibilités, tout en n'oubliant pas d'intégrer des cartes spéciales et des contrats gouvernementaux (objectifs intermédiaires) qui amplifient la compétition en cours de partie. Dans tous les cas, les mécaniques se montrent fluides, les tours rapides (si vous ne jouez pas avec des penseurs philosophiques), et offre moyen de se battre sur plein de niveaux différents pour remporter la victoire aux points.
Avec tout cela, Underwater Cities s'avère tout de même un jeu terriblement solitaire. Beaucoup de joueurs s'en complaisent, le jeu étant assez exigeant par l'effort d'optimisation constant qu'il demande pour ne pas rajouter une surcouche d'interactivité à gérer en plus. D'autres regretteront néanmoins que le jeu ne profite pas de son côté "post-apo" pour attiser le côté sombre de l'humain, au risque de faire basculer le jeu d'avantage dans le côté "trash" du jeu expert. Balle au centre sur le sujet pour ma part.
Reste que si le titre surfe sur des mécaniques de gestion "experte" goudronnées dans le sable, il n'oublie pas d'apporter quelques subtilités appréciables, le système de couleurs en tête. Au delà de l'activation ou non d'une carte, il est bon de savoir que les cartes vertes qui fournissent des capacités puissantes doivent être jouées sur des cases faibles, au contraire des cartes jaunes assez basiques dans l'ensemble qui se déclenchent sur des cases très utiles du plateau central.
Un jeu d'équilibre qui se rajoute astucieusement aux nombreuses décisions qu'offre le jeu ... quand bien sûr vous avez le choix de vos armes.
Car Underwater Cities ne prône pas l'équilibre des chances, c'est certain. Si le paquet de cartes de base se montre épais, on ne peut évincer que le tirage peut profondément marquer la destinée d'un joueur, surtout quand les cartes ne collent pas avec ses choix tactiques validés au départ, ou qu'il n'a jamais la chance de tomber sur les "bonnes" cartes qui donnent un sérieux coup de boost à une partie.
Underwater Cities ne me donne pas l'impression non plus de créer quelque chose de "différent" à chaque partie. Chacune de vos tentatives va se solder par le même amas de dômes et de pastilles en plastiques, que l'on va immuablement ajouter au compte-goutte en pointant vers le Nord-Ouest de notre plateau, quelques cartes finalisant de personnaliser le tableau. Si je ne nie pas l'intérêt stratégique pour y arriver, j'avoue que le jeu n'aide pas à s'imprégner de sa chouette thématique engagée, pas aidée en sus par un matériel assez décevant (extension limite obligatoire juste pour cela) et des illustrations de cartes pour une grande partie très génériques.
C'est cet ensemble de petits défauts qui font que, malgré des qualités mécaniques indéniables, Underwater Cities ne fait plus partie de ma ludothèque. N'en reste pas moins un jeu auquel il faut avoir joué au moins une fois si on aime le genre, surtout que derrière ses atours experts il se montre beaucoup plus accessible qu'il en a l'air (une piste peut-être à privilégier si vous cherchez une porte d'entrée sympa pour des curieux). Il faut par contre aimer les salades de points qui explosent dans un amas de fruits de victoire au comptage final, rendant toute anticipation vaine. Il y a fort heureusement un public pour cela.
Suiveur intéressé de cet auteur fécond, je vous conseillerai d'avantage Praga Caput Regni, qui reste pour moi sa meilleure production (et la plus récente en plus) à ce jour... surtout si vous cherchez du lourd !