First Empires
Kitara. Alors ce n'est pas dans mes habitudes de commencer une revue en parlant d'un jeu d'un autre éditeur, mais difficile de ne pas faire un certain rapprochement quand on retrouve dans deux jeux le même concept de conquête de territoires avec des petits meeples tout choux, des parties avec un nombre de tours prédéterminés (ici par une piste), de l'agression non punitive (les troupes ne font que battre en retraite), et aux commandes ... le même auteur.
Fort heureusement, Eric B. Vogel (le coupable présumé innocent) apporte dans son First Empires assez de sensations nouvelles dans son nouveau bébé pour que la filiation ne soit pas trop rémanente . Et assez de qualités à son nouveau titre pour que son existence se justifie dans un marché du jeu de stratégie léger ultra-méga saturé.

Dans First Empires, les joueurs prennent le destin en main d'une civilisation désireuse de marquer le monde de son empreinte, quitte à venir empiéter sur les plates bandes des autres tribus mondiales. Celle-ci gagnera en fin de partie des points de prospérité principalement en fonction de son avancée sur différentes pistes d'évolution, mais aussi en réussissant des cartes objectifs (paquets propres à chaque joueur) ou en récupérant le contrôle de villes adverses.
Chaque joueur débute une partie avec une ville, un emplacement précis sur une carte du monde commune, et un plateau personnel où ses cinq curseurs d'évolution sont au minimum syndical. Nombre de dés à lancer, relances, déplacements, cartes objectifs en main et unités sur la carte sont les attributs que vous allez pouvoir faire évoluer durant la partie pour que chacun de vos tours soit beaucoup plus riche en possibilités que les précédents.

Vous retrouverez ici une partie "baston" qui se base sur des principes éculés. Un combat se déclenche dès qu'un joueur finit son tour dans la zone d'un adversaire; La victoire se décide à celui qui a le plus d'unités impliquées dans la bataille; Vous empochez directement un jeton ville dès que vous délogez ses éventuels défenseurs. Vraiment, on reste dans du archi-classique pour le genre.
First Empires surprend par contre d'avantage par sa mécanique générale.
Déjà, par le fait que la phase de lancer de dés préliminaire n'a quasi aucune incidence sur le début d'un tour d'un joueur, outre le fait que l'on puisse améliorer sa puissance d'attaque en tombant sur des faces de dés "épée".
Par contre, ces dés vont avoir un réel impact sur la phase d'évolution surgissant juste avant la fin de votre tour. Ici, chaque symbole de dé permet de faire progresser d'un cran la piste liée si vous possédez un territoire de la même couleur à ce moment-là, à raison d'un territoire unique par dé (si vous avez trois bleus, faudra contrôler trois zones de la même couleurs).

Cette logique, toute bête sur le papier, rajoute une vraie profondeur de choix à l'ensemble, tout en générant des dilemmes réguliers entre privilégier sa stratégie de conquête ou sa progression de civilisation (quand vous n'arrivez pas à concilier les deux).
Si le jeu reste assurément accessible (règles courtes, parties d'une demi-heure), il y a quand même possibilité de joyeusement broyer les neurones d'imprudents qui ont trop cru se la couler douce en se lançant dans ce jeu tout mignonnet au premier abord.

Reste que, comme Kitara, First Empires lorgne du côté de la conquête un peu "fofolle". Le plateau est en perpétuel changement, et une place forte d'un tour peut aisément se transformer en désert aride à cause des migrations et querelles constantes. Ce qui, dans les faits, demande plus souvent un exercice d'optimisation à l'instant T que propose une guerre tactique sur le long court.
Cette folie joviale va d'ailleurs encore plus loin ici avec la présence des dés, qui ajoute une grosse part d'aléatoire dont il faudra réussir à tirer le meilleur parti. First Empires impose clairement un chaos ultra présent, et destine encore plus ses plaisirs à un public familial avide de retournements de situation en pagaille, quitte à ne pas contrôler grand chose.
À ce sujet, la quasi obligation de faire évoluer un peu toutes ses pistes pour rester "compétitif" me semble dicter un peu trop la majeure partie de nos choix. Et forcément la liberté s'en ressent.

Je n'ai bien sûr pas assez de parties pour confirmer cela. Et je reste confiant sur le pouvoir de séduction du jeu, qui touchera sans mal un public cherchant un jeu de conquête fun et pas dénué de choix dans un format ultra réduit.
Je pense juste être un peu déçu de ce "virage là", car je m'attendais justement à tout l'inverse, davantage une version plus "dense" du premier jeu de conquête de l'auteur. Après c'est de ma faute, il y avait quand même des indices dans l'aspect visuel ultra coloré du jeu ...

Par contre si j'ai une certitude, c'est qu'il est impossible d'être déçu de l'objet en lui-même. Sand Castle Games est pourtant une jeune maison d'édition qui ne soutient ici que le deuxième projet de sa petite histoire après un certain ... Res Arcana (juste l'un des meilleurs jeux 2020, mon test élogieux ici)
Et rien à dire, encore un vrai travail d'orfèvre, entre l'insert plastique millimétré, les plateaux double couche robustes et pratiques, des unités personnalisées, et une colonne compte tour qui tabasse autant qu'elle n'a aucun intérêt en jeu (mais quand c'est inutile, c'est forcément indispensable, tous les ludistes professionnels vous le diront !).
Et comme si cela ne suffisait pas, l'éditeur s'est même fendu d'une certaine originalité avec des boîtes de rangement typées origamis aussi pratiques que ... sublimes ! Non vraiment, on ne peut que louer le travail d'un éditeur qui met tout son cœur dans un projet, surtout quand il n'en sort qu'un tous les ans (voir deux). Et je ne peux donc que vous conseiller de jeter un dé quand vous passerez à côté de First Empires, car cela reste quand même un sacré petit tour de force d'avoir réussi à caser un vrai jeu de conquête dans une boîte et un format aussi contenus !

